La ville productive se définit comme le maintien ou le retour des activités de fabrication et de logistique dans les villes (Plan Urbanisme Construction Architecture, 2019). La notion s’est graduellement imposée dans les milieux professionnels tant chez les urbanistes, les institutionnels que les chercheurs. Elle désigne couramment la persistance des « activités économiques concrètes, ordinaires voire banales, et les emplois associés, en partie peu qualifiés, au sein des grandes métropoles » (Heitz et al, 2023), mais fait aussi référence aux discours et pratiques qui prônent « la réconciliation de l’habitat et de l’activité économique dans un même espace au cœur des métropoles » (Mazy et Debrie, 2022). Autrement dit, l’usage du concept de ville productive renverrait à une description socio-économique renouvelée des espaces productifs à l’aune de leur intégration croissante dans une ville multifonctionnelle en rupture avec l’urbanisme de zoning (Mazy et Debrie, 2022).
Si le concept de ville productive est, par usage, entré dans le vocabulaire de la production urbaine, il souffre encore d’une absence de théorisation et d’objectivation scientifique. C’est pourquoi « à l’heure actuelle, une multitude d’acteurs se sont emparés de cette expression et la déclinent sous différentes approches » (Gilbart et Mary, 2023). Malgré l’absence d’auteur de référence sur le sujet, il est tout de même possible d’esquisser les contours d’un concept qui tend aussi bien à être caractérisé scientifiquement qu’à être utilisé comme outil normatif, notamment par les urbanistes, pour promouvoir un horizon du développement urbain. En ce sens, la ville productive peut être appréhendée par les acteurs de la fabrique des villes comme un levier de développement pour favoriser une économie « sociale » et « durable » (Gilbart et Mary, 2023) : promouvoir des ressources humaines et matérielles locales ou renforcer l’attractivité du territoire
Pour expliquer la montée en puissance du concept de ville productive, il faut se tourner vers le regain d’intérêt pour l’activité de production en milieu urbain par les gestionnaires territoriaux. De surcroît, avec l’avènement d’une économie mondialisée, les villes sont devenues « de grands centres non pas seulement financiers mais aussi logistiques parce qu’elles connectent étroitement marchandises et services » (Baudouin, 2010) : elles assurent continuellement la jonction entre la production et la distribution des biens de la périphérie au cœur des villes. Ces phénomènes qui remodèlent la ville rencontrent également des enjeux d’aménagement, notamment avec des objectifs liés à la transition écologique. Ils se traduisent dans la propension à faire du projet urbain un outil d’aménagement capable de concilier différentes fonctions urbaines et contraintes foncières pour promouvoir une ville compatible avec les objectifs de moindre artificialisation. La question du foncier devient dès lors un enjeu politique car c’est une ressource rare : des arbitrages doivent être réalisés dans la fabrique de cette ville productive. L’intensification des activités de la logistique urbaine matérialise ces enjeux dans les premières couronnes des villes, ou en cœur de ville, notamment à cause des développements de l’immobilier logistique du e-commerce et l’injonction à la décarbonation du dernier kilomètre de la livraison (Schorung et Dablanc, 2023). Un resserrement logistique s’opère donc conjointement à une logique (qui reste très majoritaire) de desserrement, ou étalement, logistique. Ces dynamiques témoignent d’un arbitrage « lié au différentiel des valeurs foncières ou de loyer pour les usages logistiques entre le centre et la périphérie des villes » (Libourel et al., 2022).
Avec la crise du coronavirus, ce ne sont pas uniquement ces fonctions productives qui ont été mises en lumière mais également l’importance des travailleurs de la ville productive, les ouvriers de la logistique urbaine par exemple (Dablanc, 2022). Un récent travail portant sur ces emplois productifs (Heitz et al, 2023) a d’ailleurs permis d’affirmer que les métropoles restent « la localisation privilégiée des activités productives » qui continuent de posséder « la plus grande part des emplois des classes populaires » où « ils sont pourtant invisibilisés car non majoritaires » au regard des emplois moyens et supérieurs.
Somme toute, les réalités matérielles, urbaines et humaines, comme les projections qui forgent le concept de ville productive suscitent de nombreuses questions en matière de politiques publiques. Quelle place auront les nouvelles formes d’activités productives pilotées par l’économie des plateformes sur le fonctionnement des villes et la définition du travail productif ? Quels seront les futurs arbitrages et les prochaines réglementations pour décider de la place des activités de la logistique urbaine dans les villes face à la raréfaction du foncier ? Quelles conséquences ces politiques d’aménagement auront-elles sur la localisation des activités et des emplois dans la ville productive ?
Ainsi, l’imbrication, à l’échelle des villes, entre des activités intellectuelles, créatrices et tertiaires et des activités artisanales, industrielles, de transport ou de construction interroge les recompositions sociales et politiques dans ce paradigme de la ville productive : « Ce déplacement des lieux de conflits et de luttes – de l’usine à la ville productive –, qui met en avant de nouveaux sujets et génère de nouvelles armes, politiques et esthétiques à la fois, débouche sur d’autres pratiques démocratiques directes. » (Collin et Szaniecki, 2008)
Références:
– Baudouin T., 2010, Investir les métropoles, Multitudes, vol. 43, no. 4, pp. 36-47.
– Collin M., Szaniecki B., 2008, Appropriations constituantes de la ville productive, Multitudes, vol. 33, pp. 175178.
– Dablanc L., 2022, La logistique et la ville. Questions environnementales et territoriales de la
logistique urbaine, L’Information géographique, vol. 86, no. 3, pp. 49-77.
– Gilbart A., Mazy K., 2023, De l’émergence à l’appropriation, Europan et la fabrique du concept de ville productive en contexte métropolitain. Espaces et sociétés, 189, pp. 95-117.
– Heitz A., Le Corre T., Raimbault N., Roux A., Tranchant L., 2023, Les emplois de la ville
productive. Construire des nomenclatures professionnelles et sectorielles pour identifier et
mesurer les emplois des activités productives en France. Cahier SUBWORK n°1, PUCA.
– Libourel É., Schorung M., Zembri P., 2022, Géographie des transports : Territoires, échelles, acteurs, Paris : Armand Colin, pp. 9-44.
– Mazy K., Debrie J., 2022, La ville productive : un changement de paradigme pour le projet urbain ? L’exemple des interfaces ville-port. In Dumont M., Groux A., Paris D. (dir.), Le projet et la fabrique urbaine : enseigner, débattre, agir. Peter Lang Ed.
– Schorung M., Dablanc L., 2023, L’immobilier logistique urbaine et périurbain. Troisième livret
de la chaire Logistics City (Disponible sur :
https://drive.google.com/file/d/1jzKC6faBfsrMdytR0_A55LReg9rTyjmy/view).