Processus
Auteur : Florent Le Néchet
Le mot processus indique étymologiquement une progression, quelque chose qui se passe et « va de l’avant ». Comme l’expriment Livet et al. (2010), le processus est ce qui fait changer les objets au sein d’un système. Il s’agit toutefois d’un terme polysémique, le plus souvent appliqué à des contextes spécifiques. Un point notamment n’est pas partagé par toutes les acceptions de ce terme : le fait que le processus soit une reconstruction a posteriori d’une dynamique observée, ou bien au contraire les germes d’une évolution à venir.
Dans le premier cas, en identifiant une série de dynamiques fortement imbriquées au sein d’une dynamique complexe, le processus permet de raconter les histoires par « briques » élémentaires. Par exemple, parler d’étalement urbain permet d’expliciter un enchaînement, qui s’est produit au cours des décennies 1950–1990 en Europe. C’est un processus au sens où, si chaque acteur impliqué a pris sa décision en fonction de ses propres contraintes et aspirations (les ménages décidant de déménager dans des pavillons ; les promoteurs immobiliers décidant de construire des bâtiments sur des terrains non urbanisés plutôt que sur des friches en banlieue ; les pouvoirs publics décidant de construire des infrastructures de transport notamment entre les principales villes), il est possible de décrire un mouvement d’ensemble où, le plus souvent, les dynamiques urbaines se sont traduites par : (i) une croissance démographique ; (ii) une croissance des réseaux supportant les déplacements de personnes et de marchandises ; (iii) une croissance de l’espace bâti à proportion plus forte que la croissance démographique ; (iv) une baisse de la proximité des présences humaines au réseau ferroviaire, au profit des autoroutes ; (v) une modification importante des formes d’espace bâti.
Une fois identifié, le processus n’est pas simplement le récit d’une séquence particulière, mais un enchaînement de briques qui peuvent se déclencher à nouveau dans d’autres contextes. Les briques du processus d’étalement urbain ne sont pas exprimées dans les mêmes proportions à Lille, Lyon et Marseille (Aguiléra et al., 2011) mais il est légitime de considérer que dans les trois cas, ce processus permet de décrire de façon pertinente les dynamiques passées de ces territoires.
Dans sa seconde acception, le processus décrit des règles du jeu, à suivre par les acteurs élémentaires du système, que celui-ci soit social (un processus de décision), industriel (un processus de fabrication) ou virtuel (un processus implémenté dans un modèle informatique). Cette compréhension fine des mécanismes permettant le changement peuvent constituer des guides pour l’action publique. Elles constituent également des inspirations pour les modélisateurs. Dans le champ des modèles multi-agents, par exemple, on utilise pour le fonctionnement des mondes virtuels des processus qui régissent le comportement des agents élémentaires (qui existent seulement à l’état virtuel, dans le modèle). Les processus implémentés sont en quelque sorte les « règles du jeu » de cet univers virtuel, et peuvent être de plusieurs sortes. Par exemple, un processus déterministe est une règle qui est suivie dans une condition donnée (par exemple : s’installer dans le logement vacant le plus proche possible de son lieu de travail) ; à l’inverse, un processus stochastique est une règle qui peut s’appliquer dans certaines conditions en fonction du résultat d’un tirage au sort (par exemple, l’agent aura un peu plus de chances de s’installer proche de son lieu de travail, mais pourra aussi emménager un peu plus loin, avec une probabilité plus faible). Les modèles d’interaction usage du sol / transport (Bonnel et al., 2014) opérant au niveau élémentaire des ménages ou des individus doivent donc intégrer pour donner des résultats exploitables par les décideurs publics, des combinaisons de processus déterministes et stochastiques permettant de coller au mieux aux observations réalisées dans le monde réel. Dans tous les cas évoqués, les processus sont indissociables des systèmes dans lesquels ils opèrent : l’approche systémique permet de séparer l’étude des objets et des interactions entre ces objets et de mieux comprendre les répercussions potentielles d’actions envisagées à tous les niveaux. Qu’il s’agisse, dans le domaine des transports et de l’aménagement d’actionner le levier économique, juridique, ou de production urbaine, il importe de se préoccuper des conséquences sur les processus en cours, qu’on souhaite les renforcer (verdissement du parc automobile français), les ralentir voire les infléchir (gentrification).
Processus
Auteur : Marianne Ollivier-Trigalo
Les politiques publiques sont des processus sociaux. Autrement dit, nous postulons que les programmes d’action qui fondent ces politiques sont le résultat de la confrontation d’acteurs en lutte pour construire une représentation de la réalité et, par suite, la manière d’agir sur elle (Muller, 1994, 2005). Parmi ces acteurs, on trouve les institutions politiques de gouvernement (État, collectivités territoriales, Union Européenne), qui ont la responsabilité juridique de la mise en œuvre des politiques publiques. Une controverse scientifique occupe les politistes autour de la redoutable question des modalités d’interdépendance entre structures (travaillées par les néo-institutionnalistes) et les agents membres de ces structures (analysés par les sociologues politiques). Dans cette perspective, nous suivons l’hypothèse selon laquelle les acteurs se font une idée du contexte institutionnel au sein duquel ils agissent et des stratégies qu’ils estiment possibles dans ce contexte (Hay, Wincott, 1998 ; Friedberg, 1998), car les institutions ne sont pas monolithiques. Mais d’autres acteurs font partie du jeu (société civile, associations, ONG, acteurs économiques) et il faut les identifier : on peut les appréhender à travers des « systèmes d’action concrets » qui les font exister. Cette conception, issue de la sociologie de l’action organisée (Crozier, Friedberg, 1977), permet, quand on l’applique à l’analyse de l’action publique, de mettre en lumière des systèmes d’acteurs empiriques, c’est-à-dire un ensemble d’acteurs qui portent, à un moment donné et dans un territoire donné, une action publique dans un domaine particulier et de considérer que leurs modalités d’interaction importent pour les résultats de l’action publique considérée (Friedberg, 1997). Pour rendre compréhensible la complexité des interactions entre acteurs et les jeux d’acteurs pouvant s’enchevêtrer et s’influencer plus ou moins directement, il est utile de distinguer de manière heuristique des sous-systèmes d’action, selon les moments, les objets, les espaces de négociation. Dans cette perspective, nous nous inspirons de la notion de configuration d’acteurs (Elias, 1991), afin de donner un caractère interprétatif tant aux acteurs et à leurs interactions qu’à la configuration particulière au sein de laquelle se déploient ces interactions, négociations et conflits. Par exemple, dans le cas d’un projet d’aménagement, il est plus clair de distinguer la configuration qui joue sur la problématisation de l’action (construire (ou pas) un tramway ou plus largement une zone d’activité pour des raisons diverses, variées, contradictoires, portées par les acteurs de la configuration) de celle qui négocie les modalités de mise en œuvre (financement, tracé, types d’activités, d’aménités), même si bien entendu ces configurations peuvent être poreuses l’une à l’autre selon les moments du processus. Deux idées importantes : tout processus est dynamique (il produit du changement, du mouvement, il a une histoire, etc.) ; tout processus est un système d’interactions entre acteurs (interdépendants, dont les équilibres de force sont fluctuants).
Références:
– Livet, P., Muller, J. P., Phan, D., & Sanders, L. (2010), « Ontology, a mediator for agent-based modeling in social science », Journal of Artificial Societies and Social Simulation, 13(1), 3.
– Aguilera, A., & Mignot, D. (2011), « Multipolarisation des emplois et déplacements domicile-travail : une comparaison de trois aires urbaines françaises », Canadian Journal of Regional Science, 33(1), 83-100.
– Bonnel, P., Coulombel, N., Prados, E., Sturm, P., Arnaud, E., Boittin, C., Gilquin, L. (2014, October), « A survey on the calibration and validation of integrated land use and transportation models », in Symposium Towards integrated modelling of urban systems.
– Muller P. (1994), Les politiques publiques, Paris : P.U.F., coll. Que sais-je ?, 128 p.
– Muller P. (2005), « Esquisse d’une théorie du changement dans l’action publique. Structures, acteurs et cadres cognitifs », Revue française de sciences politiques, Vol. 55, février, 2005/1, p. 155-187.
– Hay C., Wincott D. (1998), « Structure, Agency and Historical Institutionalism », Political Studies, XLVI, p. 951-957.
– Friedberg E. (1998), « En lisant Hall et Taylor : néo-institutionnalisme et ordres locaux », Revue française de sciences politiques, Vol. 48, n 3-4, juin-août, p. 507-514.
– Crozier M., Friedberg E. (1977), L’acteur et le système, Paris : Seuil, 550 p.
– Elias N. (1991), Qu’est-ce que la sociologie ?, La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube, Pocket, coll. Agora, 223 p.