Marche

Services et Infrastructures
Auteur : Jérôme Monnet

De mon point de vue de géographe, la marche renvoie à la cinétique et à la synesthésie du corps humain immergé dans un environnement. Celui-ci est caractérisé à la fois par la relative permanence de sa géométrie et par la remarquable variabilité des ambiances bâties, météorologiques et sociales auxquelles on s’expose en marchant. C’est pourquoi la marche est un objet particulier pour la recherche sur les transports et la mobilité : beaucoup moins dépendante des infrastructures que les autres modes de déplacement, elle est aussi beaucoup plus hétérogène car imbriquée dans l’ensemble des activités que réalise un être humain 

 

La marche est aussi un pilier du travail de terrain pour les chercheurs qui veulent recueillir des informations de première main et ne pas traiter seulement des données de seconde main. La sortie de terrain ne suffit pourtant pas à faire une méthode, qui passe par des formes d’enregistrement pour être objectivée et systématisée, comme les parcours commentés. L’émergence de la marche comme méthode interdisciplinaire pour les sciences sociales, l’architecture et l’urbanisme renvoie à une évolution plus générale, que l’on peut résumer par l’impératif de « prise en compte des usages » dans la recherche et dans l’action publique. 

 

Le terme renvoie usuellement alors à un mode de déplacement à l’allure du pas, par opposition à la course d’une part et aux modes de transport mécaniques d’autre part. La marche est ainsi valorisée comme « mobilité active » (avec le vélo) ou « douce » (avec la trottinette et autres nouveaux engins de déplacement personnel) qu’il faudrait défendre ou promouvoir pour contrer les impacts négatifs des transports motorisés (insécurité routière, dérèglement climatique, nuisances sonores, maladies de la sédentarité). Ce type de marche révèle une problématique de l’autonomie dominée par la proximité et la vulnérabilité : la portée limitée du déplacement pédestre définit quels services sont accessibles pour les personnes privées d’accès aux autres moyens de transport (enfants, adolescents, personnes âgées, pauvres ou marginaux). 

 

Mais la place de la marche dans la société ne peut être comprise seulement à l’aune de « l’offre de transport » où elle reste à ce jour structurellement marginale. Par contraste, elle occupe une place éminente dans la civilisation des loisirs : sous forme de visite, promenade, balade ou randonnée, elle est plébiscitée pour pratiquer les « grands espaces » naturels ou ruraux mais aussi « mettre en tourisme » les espaces urbains. En opposition avec le déplacement utilitaire de la vie quotidienne et à son environnement jugé hostile, la marche récréative est vécue comme un moyen de libération individuelle. Depuis Montaigne et Rousseau, elle est présentée comme propice à la réflexion, à la créativité artistique. Elle incarne même l’expression politique sous les formes distinctes de la manifestation collective ou du retrait du monde. 

 

Cette imbrication de la marche avec différentes dimensions de l’expérience humaine explique le paradoxe d’une « centralité marginale » due à sa trivialité, qui explique à son tour la difficulté à en faire un problème public et un objet politique. C’est pourquoi il faut techniciser son approche, par exemple avec une notion comme « infrastructure pédestre » pour caractériser les éléments physiques et réglementaires dont dépend la marche, que nous développons au LVMT en collaboration avec d’autres chercheurs du groupe « Mobilités urbaines pédestres » du Labex Futurs urbains. 

 

Références:

– Monnet J., à paraître, Prise en compte des usages et émergence politique de la marche en ville, Recherche Transports Sécurité. 

– Monnet J. (coord.), 2023, dossier « Quelle infrastructure pour la marche en ville ? », Revue Transports Urbains n°143. 

– Demailly K., Monnet J., Scapino J. & Deraëve S. (dir.), 2021, Dictionnaire pluriel de la marche en ville, Paris L’œil d’or.