Congestion
Auteur : Luc Charansonney
pour l’usager : phénomène d’affluence entraînant un retard/une immobilisation dans un déplacement. La congestion est associée à l’idée de proximité forcée, de sentiment de blocage dans le bon déroulement d’un trajet.
Pour le réseau : sollicitation par ses usagers supérieure à ses capacités d’écoulement au moment de la sollicitation. La congestion résulte d’une rencontre entre une demande et une offre ne pouvant la satisfaire. L’offre de transport est par essence limitée : (1) soit de manière temporaire, l’altération étant lié à un événement temporaire, borné dans le temps (incident, travaux, sur-sollicitation par la demande) ; (2) soit de manière nominale par son dimensionnement physique.
Une demande trop forte par rapport à l’offre peut entraîner une destruction partielle ou totale de celle-ci (par ex. : chute du débit lorsqu’il y a trop de véhicules).
Congestion
Auteur : Fabien Leurent
En économie, un service (« facility ») ou un équipement (« utility ») est soumis à congestion lorsque son utilisation par certains clients en empêche ou gêne l’usage par d’autres. Alors on dit que le bien associé (l’usage du service ou de l’équipement) fait l’objet d’une rivalité entre les demandeurs (clients potentiels). La congestion est au cœur de la théorie des files d’attente : l’usage d’un guichet de service par un client oblige les clients suivants à attendre. Le temps d’attente moyen dépend de la capacité de service (nombre de postes au guichet, cadence de traitement) autant que du flux des arrivées des clients (intensité) et de leurs demandes individuelles (la durée d’occupation, ou charge élémentaire de trafic). Dans les problèmes dont les conditions varient peu au cours du temps (stationnaires), il faut que la demande totale de charge soit inférieure à la capacité totale de traitement pour que chacun soit servi en un temps limité. Quand les conditions varient au cours du temps, on utilise un modèle de goulot pour calculer les variations temporelles du stock de demande en attente de traitement ainsi que du temps d’attente, de manière macroscopique.
Evidemment les transports présentent bien des formes de congestion :
une section de route présente une ou plusieurs files de circulation qui sont comme un ou plusieurs guichets parallèles de service. Le passage par un point donné constitue un problème de file d’attente.
les piétons comme les véhicules sont en mouvement, ils peuvent adapter leur vitesse de circulation (i.e. le flux est « compressible »). Une forme bien connue de congestion est le ralentissement causé par le client précédent « juste devant ».
en un point donné, typiquement le débouché d’une route en un carrefour dont elle constitue une branche, la capacité de service est limitée non seulement par le nombre de files imparties à la direction de flux, mais aussi par les obstacles qui se présentent au débouché : d’autres mobiles (véhicules ou piétons) issus d’autres branches, ou signal de régulation (feu de trafic). Cette forme de congestion est la plus contraignante en milieu urbain, là où le réseau viaire est dense et fortement maillé.
le stationnement de véhicules dans un espace délimité est également soumis à congestion. Cf. modèle ParkCap (Leurent & Boujnah, 2014).
en transport collectif, non seulement les véhicules peuvent se gêner les uns les autres sur les voies, en s’infligeant des retards qui se répercutent sur leurs occupants respectifs, mais de plus les voyageurs peuvent se gêner mutuellement : dans l’occupation des places assises ; dans l’occupation des espaces debout ; pour l’accès au véhicule (cf. files d’attente à quai). L’arrêt du véhicule en une station donnée constitue une phase critique, avec une gêne mutuelle entre les mouvements en descente et en montée ainsi qu’avec les stocks de voyageurs présents à quai et à bord.
Questions liées :
le dimensionnement de l’infrastructure (et des flottes de véhicules) : le dilemme entre un dimensionnement large pour éviter la congestion, le coût d’équipement afférent, et le risque de stimuler la demande.
l’équilibre offre-demande du trafic : la congestion constitue une déséconomie d’échelle pour la qualité de service. La dégradation de la qualité, en fonction du nombre de clients, se concrétise par la hausse du temps de transport individuel (et/ou de l’inconfort), or celui-ci constitue un coût pour le client. Une demande plus forte induit un coût plus fort, qui tend à réduire la demande, d’où in fine un ajustement mutuel entre l’offre et la demande.
la régulation de la congestion : par la tarification, qui ajoute un coût financier et limite la demande donc la congestion, par le contingentement, cf. le partage du « temps de vert » entre les branches d’un carrefour à feux, ou l’affectation dynamique des files de circulation d’une voie large entre les deux sens de circulation et les divers modes ; par l’information du trafic et son orientation vers des itinéraires, des périodes ou des modes alternatifs moins chargés.
le coût marginal social externe de congestion est le surcoût de transport imposé par un individu aux autres usagers, du fait de sa présence et de son propre usage des moyens de transport. Son calcul repose sur un modèle dont le degré de réalisme doit être questionné. Le résultat d’évaluation est une base de référence pour une tarification « optimisatrice » qui appliquerait le principe « pollueur-payeur ».
l’optimum collectif du trafic sur un réseau, par divers instruments de régulation, produit un certain état du système, en principe meilleur au plan collectif qu’un système moins régulé dans lequel chacun poursuit son intérêt propre sans se soucier des conséquences pour les autres (principe dit de l’équilibre individuel, ou de l’optimum individuel).
le paradoxe de Braess fait saillir la différence entre l’équilibre individuel et l’optimum collectif. Dans un réseau avec une certaine structure topologique et soumis à congestion, et sous des conditions particulières de trafic, l’ajout d’une route supplémentaire dégrade la situation d’ensemble ainsi que la situation individuelle de chacun des usagers, si la régulation est insuffisante.
Congestion
Auteur : Gaële Lesteven
Extrait de Lesteven G., 2012, « Définir la congestion », in Les stratégies d’adaptation à la congestion automobile dans les grandes métropoles : analyse à partir des cas de Paris, São Paulo et Mumbai, Thèse en géographie et aménagement, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 436 p.
Malgré un usage fréquent de ce terme, la congestion automobile n’est, bien que généralement comprise, jamais formellement définie (Grant-Muller et Laird, 2006). Le manque de consensus tiendrait à la nature même de la congestion, phénomène à la fois physique et relatif, dépendant des attentes des usagers (ECMT, 2007). L’angle d’analyse diffère selon le spécialiste qui traite la question. Les ingénieurs du trafic définissent la congestion comme un rapport entre la vitesse et le débit. Cette définition ne satisfait ni les économistes, ni les géographes, ni les aménageurs. Même parmi les professionnels des transports, il n’y a pas d’unanimité sur ce qu’est la congestion (Bertini, 2005). Néanmoins, cette absence de définition permettrait de tenir un même langage commun, celui de « catastrophisme », que dénonce J.-P. Orfeuil, en citant à la fois « les “bétonneurs” (l’heure est grave, il faut faire des routes) et les “écologistes” (l’heure est grave, il faut arrêter de faire des routes) » (Orfeuil, 2000). Le terme de congestion apparaît au cours du XIXème siècle. Ce terme est d’abord introduit dans son acception médicale d’« afflux de sang dans les vaisseaux ». Il désigne, ensuite, par métaphore, une circulation trop dense de personnes et de véhicules. Avec l’apparition de l’automobile, les historiens observent un changement de nature de la congestion (Barles, 2006 ; Weinstein, 2006 ; Flonneau, 2005). L’excès d’encombrement de l’espace urbain au XIXème siècle fait place au problème d’écoulement des flux circulatoires au XXème siècle. La motorisation de masse accentue les problèmes de congestion de la circulation. S’élèvent, dans les années 1960, les premières voix critiquant la place trop encombrante de l’automobile dans l’espace urbain (Buchanan, 1963). Les ingénieurs du trafic, parallèlement au développement de la motorisation, analysent la congestion comme un phénomène qui survient lorsque la demande (le nombre de véhicules qui cherchent à utiliser une infrastructure donnée) excède l’offre (la capacité de l’infrastructure). Ils modélisent la circulation en deux régimes : un régime fluide qu’il faut chercher à maintenir où, la demande n’excédant pas l’offre, la vitesse de circulation est optimale et un régime congestionné qu’il faut réguler, la demande excédant l’offre (Haight, 1963 ; Cohen, 1990). Les ingénieurs affinent leur réflexion en distinguant les manifestions de la congestion dans l’espace (congestion sur route et congestion en ville) et dans le temps (congestion récurrente et non-récurrente). Ils mesurent la congestion en fonction de la vitesse, de son extension temporelle et géographique, du temps passé dans un bouchon et du retard qu’il entraîne. Les économistes cherchent alors à chiffrer ce temps perdu dans les embouteillages, en tenant compte la demande d’utilisation de la route (Kolm, 1968). S’ils diffèrent sur la situation de référence (coût total de la congestion versus coût marginal), ils s’accordent sur la tarification de l’offre (Knight, 1924 ; Vickrey, 1963) comme seul moyen de remédier au phénomène de file d’attente qui découle 3 d’une inadéquation entre la demande et l’offre. Enfin, le développement de la socio-économie des transports dans les années 1970, en faisant appel aux méthodes de la géographie et de la sociologie, permet de repenser la congestion comme perturbation du système automobile (Hall, 1988 ; Dupuy, 1999). Effet négatif interne au système automobile, elle entrave la liberté de circulation des automobilistes. Elle produit également des conséquences externes au système, par un encombrement de l’espace, urbain en particulier. La congestion automobile, en affectant les temps de parcours, exerce une pression sur la constance des budgets temps de transport des ménages motorisés métropolitains. L’instabilité des conditions de trafic augmente la variabilité des temps de parcours et ajoute du stress à cette pression sur les budgets temps. Je propose de retenir une définition opératoire de la congestion automobile : la congestion automobile résulte d’un déséquilibre, à un moment donné en un point donné, entre la demande automobile et l’offre viaire. Par ses manifestations, en particulier en allongeant les temps de parcours ou en augmentant leur variabilité, la congestion automobile perturbe le fonctionnement du système automobile. Plus l’écart est important entre la demande et l’offre, plus le degré de perturbation dû à la congestion est élevé. Une analyse comparative auprès de ménages motorisés de grandes métropoles (Lesteven, 2012) montre qu’en situation de congestion, la majorité des ménages réussit à préserver son mode de vie, grâce à des stratégies d’adaptation. Les ménages ont conscience que les effets de la congestion sur le système automobile restent mineurs par rapport aux effets de dépendance. Ils continuent d’utiliser la voiture, même quand les degrés de congestion sont élevés.
Références:
– Barles S. (2006), « De l’encombrement à la congestion ou la récurrence des problèmes de circulation urbaine, XIXe -XXe siècles », in Descat S., Monin E., Siret D. (dir.), La ville durable au risque de l’histoire, Villeneuve d’Ascq, École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille, p. 129-143.
– Bertini R. (2005), “Congestion and its Extent”, in Levinson D., Krizek K. (eds.), Access to Destinations, Amsterdam, Elsevier, p. 11-38.
– Buchanan C. (1963), Traffic in towns, Harmondsworth, Penguin books, 263 p.
– Cohen, S. (1990), Ingénierie du trafic routier. Éléments de théorie du trafic et applications, Paris, Presses de l’école nationale des Ponts et Chaussées, 246 p.
– Dupuy G. (1999), La dépendance automobile : symptômes, analyses, diagnostic, traitements, Paris, Anthropos, 160 p.
– ECMT (2007), Managing Urban Traffic Congestion, Paris, European Conference of Ministers of Transport and Organisation for Economic Co-operation and Development, 295 p.
– Flonneau M. (2005), Paris et l’automobile : un siècle de passions, Paris, Hachette littératures, 348 p.
– Grant-Muller S. & Laird J. (2006), Costs of Congestion : Literature Based Review of Methodologies and Analytical Approaches, Edinburgh, Scottish Executive Social Research, 79 p.
– Haight F. (1963), Mathematical theories of traffic flow, New York, Academic Press, 255 p.
– Hall P. (1988), “Impact of new technologies and socio-economic trends on urban form and functioning”, in OECD Urban Development and Impacts of technological, economic and socio-demographic Changes, Report of an Expert Meeting, Paris, Organisation for Economic Co-operation and Development, p. 22-29.
– Knight F. H. (1924), « Some Fallacies in the Interpretation of Social Cost », The Quarterly Journal of Economics, vol. 38, no 4, p. 582-606.
– Kolm S.-C. (1968), La Théorie économique générale de l’encombrement, Paris, S.E.D.E.I.S, 82 p
– Lesteven G. (2012), « Les stratégies d’adaptation à la congestion automobile dans les grandes métropoles : analyse à partir des cas de Paris, São Paulo et Mumbai », Thèse en géographie et aménagement, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
– Leurent, F., & Boujnah, H. (2014), « A user equilibrium, traffic assignment model of network route and parking lot choice, with search circuits and cruising flows », Transportation Research Part C : Emerging Technologies, 47, 28-46.
– Orfeuil J.-P. (2000), « L’évolution de la mobilité quotidienne : comprendre les dynamiques, éclairer les controverses », Synthèse INRETS, no 37, 146 p.
– Vickrey W. (1963), « Pricing in Urban and Suburban Transport », American Economic Review, vol. 53, no 2, p. 452-465.
– Weinstein A., (2006), « Congestion as a Cultural Construct : ‘The Congestion Evil’ in Boston in the 1890s and 1920s », Journal of Transport History, vol. 27 – 2, p. 95-115.