CHALEUR EN GARE
Les gares sont de véritables bassins de vie, avec des trains en mouvement, des moteurs en fonctionnement et un flux régulier de passagers en transit. Cette activité continue génère de la chaleur, contribuant ainsi à l’augmentation du bilan thermique de l’environnement urbain des gares. Cette accumulation de chaleur peut provoquer des températures beaucoup plus élevées que celles à l’extérieur des zones ferroviaires. La gare devient ainsi un micro-îlot de chaleur au sein d’un îlot de chaleur plus vaste, englobant le quartier voire la ville elle-même. La chaleur en gare est devenue aujourd’hui une préoccupation majeure puisqu’elle rend l’expérience des usagers pénible (par ex. : perte de confort), voire dangereuse avec des risques pour la santé (par ex. : crampe, épuisement, coup de chaleur).
La chaleur affecte également le bon fonctionnement de l’infrastructure. Pour y remédier, les gestionnaires de gare mettent en œuvre le plan « canicule », qui comprend la mise en place de nombreuses mesures techniques. Celles-ci vont de la réduction de la vitesse à des annulations de trains. La dilatation des rails constitue en effet un risque majeur pouvant entraîner un déraillement, notamment en période caniculaire, lorsque la température du rail peut dépasser celle de l’air de 20 °C.
Une grande partie des activités ferroviaires dépend principalement de l’électricité comme source d’alimentation essentielle. Parmi les équipements électriques les plus affectés figurent les caténaires et les pantographes. La pression exercée lors du passage des trains et leur exposition prolongée au soleil direct entraînent souvent des dysfonctionnements tels que des pannes électriques, le relâchement des câbles ou même l’effondrement des appareils.
Les réseaux ferroviaires sont également associés à plusieurs accidents de flambage en cas de température élevée. L’Agence de l’Union Européenne pour les chemins de fer (ERA) a enregistré en 2016 plus de 5 000 accidents. Les intempéries pourraient être responsables de jusqu’à 20 % des retards imprévus au Royaume-Uni. Villalba Sanchis, Thornes, et Davis (2002)
La chaleur est souvent perçue comme un événement singulier, inattendu et brutal dans le monde ferroviaire. Souvent, la résilience est corrélée à sa capacité adaptative. Or, la chaleur n’est pas un phénomène isolé. C’est un phénomène invisible dont les effets se manifestent de diverses manières. Par exemple, pendant une période de canicule, les trains voient leur vitesse réduite par mesure de sécurité, ce qui affecte la ponctualité et la fiabilité du service ferroviaire en général. De plus, cela peut entraîner des correspondances manquées, provoquant ainsi une congestion dans les gares et des problèmes potentiels de flux.
Dans tous ces effets en chaîne, la cause de la disruption n’est pas majoritairement le climat, mais les décisions managériales portant sur le ralentissement des trains. Les décisions de ralentir les trains sont prises par l’entreprise ferroviaire pour adapter ses protocoles de sécurité ainsi que prévenir des dommages importants sur le réseau et une perte de valeur de l’infrastructure. Bien que ces ralentissements soient décidés par le gestionnaire d’infrastructure, leurs conséquences sont également supportées par le gestionnaire des gares, ce qui crée des tensions entre ces institutions.
Depuis l’application du modèle européen de séparation des industries de réseau, un débat, encore peu médiatisé, commence à émerger entre les gestionnaires de gares et les opérateurs de réseau. Ceux-ci estiment que la priorité donnée à la protection des infrastructures contre les risques liés à la chaleur, au nom de la culture de la sécurité ferroviaire, se fait au détriment de l’activité elle-même et du bien-être des usagers
Cette culture est profondément ancrée dans des croyances et des pratiques visant à maintenir le bon fonctionnement des opérations ferroviaires. Les leçons tirées de l’expérience historique en termes des accidents passés ont conduit à l’établissement d’une culture de prévention rigoureuse. De plus, le coût élevé des infrastructures ferroviaires engendre une grande inquiétude parmi les opérateurs quant au risque d’endommagement des « actifs » physiques, tels que le matériel roulant, les voies et la signalisation.
Ce débat nécessite une réflexion élargie sur la résilience climatique des gares, en associant des experts sur le comportement des équipements ferroviaires face aux variations thermiques avec des spécialistes de la régulation de l’industrie ferroviaire (toutes distances, y compris les transports de masse) et des hubs (gares et pôles d’échanges). Mon sujet de thèse s’inscrit parfaitement dans ce cadre en examinant l’impact de la chaleur urbaine sur les environnements de transit et les pôles d’échange, avec un focus sur les gares ferroviaires dans la région euro-méditerranéenne. Cette recherche aborde la gestion de la chaleur dans les espaces de transit en explorant comment les choix d’urbanisme, les matériaux et les stratégies de conception peuvent influencer les conditions thermiques et améliorer le confort des usagers. La recherche scientifique est essentielle car elle permet de développer des connaissances et des méthodes d’analyse, ainsi que des outils de cartographie pour évaluer les variations thermiques, guidant ainsi les politiques et pratiques vers des solutions efficaces adaptées aux défis climatiques.
Les initiatives de la SNCF en matière de service aux usagers face aux fortes chaleurs restent essentiellement palliatives : elles visent à soulager immédiatement les voyageurs et à éviter les risques sanitaires. Ces mesures incluent la distribution de bouteilles d’eau, d’éventails et de prospectus de prévention, ainsi que des annonces diffusées à bord des trains ou dans les gares pour rappeler aux passagers l’importance de s’hydrater. Cependant, ces actions ne sont déployées que dans un nombre limité de gares du réseau (les plus grandes) et ne sont pas accessibles à l’ensemble des personnes souffrant de la chaleur.
Il existe par ailleurs peu d’informations sur l’adaptation des métiers techniques et commerciaux de gare au risque chaleur, ni sur la possibilité d’offrir refuge en gare à des populations précaires et errantes qui, en cas de canicule, cherchent un abri dans des halls relativement ventilés. À Hangzhou, en Chine, et à Chicago, aux États-Unis, des gares de métro et de train ont été transformées en centres de fraîcheur et en abris, principalement destinés aux personnes vulnérables telles que les sans-abris et les personnes âgées. À l’intérieur de ces espaces, pouvant accueillir jusqu’à 2 000 personnes, les températures peuvent être jusqu’à 10 degrés plus basses qu’à l’extérieur, ce qui attire les résidents et les touristes en quête de soulagement thermique1